La réception qui a lieu aujourd'hui même à la Rochette nous engage à placer, sous les yeux de nos lecteurs une étude sur cette propriété,
parue dans le Musée neuchàtelois en 1918 est due à la plume de celui même qui reçoit la Société suisse d'histoire, notre collaborateur,
M. Armand DuPasquier. On est du reste coutumier de ce genre d'hospitalité dans cette belle propriété unique en son genre à Neuchâtel.
En effet, en 1899 on y recevait la Société helvétique des sciences naturelles, en 1905 le congrès de l'association internationale
des Amies de la jeune fille, en 1914 le congrès ethnographique, en 1921 la Société helvétique des sciences naturelles.
Aussi sommes-nous heureux de voir cette demeure rester dans les mains de ceux qui savent en faire un si bel usage.
La jolie gouache dont nous donnons ici la reproduction très bien exécutée par M. Alfred Ditisheim, à Bâle, est l'oeuvre d'un
artiste peu connu chez nous, Théophile Steinlen et a figuré à l'exposition rétrospective de 1914.
Elle représente la Rochette vue du midi et porte comme légende: Dédié à son Excellence le Comte de Meuron, lieutenant-général et
propriétaire d'un régiment au service de S.M.B., Chevalier de l'ordre de l'Aigle rouge et Chambellan de Sa Majesté prussienne.
Cette planche est intéressante par le soin apporté à son exécution et à la fraîcheur du coloris comme aussi par l'exactitude des détails.
Elle n'est pas datée, mais le costume des personnages figurant au premier plan et la dédicace qui l'accompagne permettent d'en fixer
la date aux environs de 1804.
Cette vue est prise du Faubourg du Lac.
A cette époque, la promenade se limitait à peu près à la jetée plantée d'arbres que Dupeyrou avait fait établir quelque trente ans
auparavant à l'extrémité sud de sa propriété du Faubourg.
Sa prolongation jusqu'au Crêt fut entreprise à partir de 1802 et terminée seulement vers 1820.
C'est donc sur la rive du lac que l'artiste s'est placé pour exécuter son oeuvre, soit au sud de la propriété de Sandol-Roy dont
on voit à gauche une partie du pavillon existant encore aujourd'hui, plus ancien que la maison principale bâtie seulement en 1821.
A droite, on aperçoit la ruelle du Fornel, alors simple passage ouvert pour faciliter l'accès du côté du lac aux jardins établis
entre celui-ci et le Faubourg de l'Hôpital, puis une portion de l'immeuble appartenant actuellement à Mme Meynard-Bonhôte.
Au second plan s'étend le vignoble de la Rochette, traversé dans toute sa hauteur par un long escalier aboutissant au Faubourg
et que domine la maison d'habitation, dont on distingue clairement les détails de la facade, un peu dissimulés aujourd'hui par
les arbres ombrageant la terasse.
La facade du bâtiment principal comprend trois avant-corps occupés chacun à mi-hauteur par un balcon supporté sur des colonnes d'ordre dorique.
Celui du milieu est surmonté d'un fronton triangulaire, les deux autres, de frontons circulaires.
Ce bâtiment se prolonge de chaque côté par deux ailes en retrait de moindre hauteur, et à gauche, par une longue construction
dont on distingue le toit devant laquelle s'élève une platte-forme bordée par une balustrade en pierre et ombragée de tilleuls.
Devant la façade et tout le long des vignes règne une terrasse bornée à gauche par un pavillon accolé à une orangerie, à droite par une salle de marroniers.
Parmis les arbres plantés devant cette terrasse, on aperçoit un cèdre du Liban existant encore aujourd'hui, probablement un des plus anciens du pays.
A gauche des vignes émerge, au milieu d'un fouillis de verdure, le toit de la maison Delor dont le jardin, encastré entre la
Rochette et l'Hôtel DuPeyrou, est occupé maintenant par les propriétés du Dr. de Marval et de M. Louis Reutter.
A l'arrière-plan, les vignes et les maisons du Tertre.
A droite, dans le quartier appelé autrefois l'Isérable, on découvre un pavillon ayant appartenu à la famille Ostervald où,
suivant la tradition, le célèbre traducteur de la Bible venait chercher un isolement propice à ses travaux, puis la terrasse
et les toits des propriétés du Verger et la Luzernière.
Au nord, enfin, la façade d'une maison appartenant à lka famille Delor, qui se trouvait tout près de l'emplacement de la gare
et fut démolie lors de la construction de celle-ci.
Si cette planche est exacte par le détail, elle l'est moins peut-être dans l'ensemble.
L'aspect des lieux a été sensiblement modifié par l'ouverture du Faubourg du Lac et le développement de la ville dans ce quartier
et celui de la gare, si bien qu'il est un peu difficile aujourd'hui, en se placant à l'endroit d'où l'artiste a travaillé,
de se rendre compte si la réalité des lieux correspond exactement à celle que figure notre planche.
Il semble toutefois que l'artiste, en vue de flatter l'amour-propre de celui auquel il a dédié son oeuvre, ait fait entrer dans
celle-ci, tout ce qu'il dérirait y placer, ce qui d'ailleurs n'a rien de choquand, car il a su donner à un site intéressant tout
le charme qu'il comportait.
En 1586, Abraham Tribolet, conseiller de ville, acquérait un morcel de terre tant en vigne qu'en chenesvière gesant au lieu dict à la Rocheta,
d'André Martenet et de sa femme Elisabeth, fille de Louis de Pierre.
Son fils Guillaume, châtelain de Thielle, bien connu par le rôle qu'il joua dans les procès de sorcellerie de l'époque,
agrandit ce domaine qui fut hérité par sa fille Judith, épouse de Josué Chambrier, trésorier général.
Le fils cadet de ce dernier, David-François de Chambrier, en devint propriétaire à son tour et construisit,
sur le plateau dominant les vignes une maison d'habitation, soit probablement centrale du bâtiment actuel.
David-François de Chambrier, qui avait été dans sa jeunesse capitaine d'une compagnie suisse au service de Savoie, revint plus tard
à Neuchâtel où il était en 1708 lieutenant-colonel des milices.
A la date de 1714, la maison de la Rochette existait déjà, ce qui permet d'en fixer la construction entre 1708 et 1714,
soit peut-être à l'année 1711, date figurant sur une plaque de contre-feu dans la cheminée du salon central de la maison.
Le lieutenant-colonel de Chambrier, habita cette propriété qu'il agrandit considérablement en faisant l'acquisition de plusieurs
terrains en nature de vigne et de vergers, et en construisant des caves creusées dans le roc.
A sa mort en 1729, ses héritiers vendirent à Jean-Georges Bosset, de la Neuveville, le bien-fonds en masse dit la Rochette,
de la contenance d'environ cinquante-quatre hommes, consistant en maisons, autres bâtiments, caves, vignes, jardins, citerne
ou puits, allées, vergers, arbres, buissons, etc..
Jean-Georges Bosset avait fait fortune à Batavia, et, après une existence aventureuse, s'était établi à Neuchâtel,
où il songeait à entreprendre un commerce de vin.
C'est dans ce but qu'il acheta la Rochette, dont il transforma les bâtiments en ajoutant de nouvelles constructions, et augmenta
la contenance des terrains et surtout des vignes.
Cet homme d'une culture remarquable avait au cours de ses nombreux voyages, fréquenté beaucoup de personnages célèbres de l'époque,
et pratiquait dans sa demeure la plus large hospitalité.
Plusieurs savants de marque, tels Maupertuis, la Condamine, d'autres encore, figurent, dit-on, au nombre de ses hôtes.
A cette époque la ville de Neuchâtel ne dépassait pas les Terreaux, et le quartier du Faubourg ne consistait guère qu'en
de petits jardins agrémentés de cabinets d'été sommerhaus, où les bourgeois venaient jouir de la fraîcheur des soirées
d'été tout en jouant aux boules ou taillant leurs espaliers.
La Rochette se trouvait ainsi entièrement hors de ville, et l'allure de sa façade, comme aussi la masse imposante des bâtiments
et des allées plantées d'arbres, se détachant seuls au milieu des vignes et des vergers d'alentour, attirait l'attention des
étrangers, ce qui explique le mot de Mme de Charrière en parlant de Neuchâtel: Je ne trouve pas que ce soit une charmante ville,
mais la Rochette est une belle habitation
Jean-Georges Bosset avait en outre acquis au Faubourg, en 1764, deux petits jardins dans lesquels il construisit un pavillon
contenant un salon et quelques pièces qu'on appela la petite Rochette, où il offrait des fêtes à la société neuchâteloise,
leur évitant l'ennui de gravir la rampe en zigzags qui précéda le grand escalier à travers les vignes, car l'accès à sa
demeure par le chemin des Fays, aujourd'hui route de la gare, alors simple chemin de vigne, était étroit et malaisé.
A la mort de Jean-Georges Bosset, survenue en 1772, le domaine de la Rochette demeura la propriété de ses enfants jusqu'en 1791.
A cette date il fut vendu à Jean-Jacques de Pourtalès qui songeait à y établir l'aîné de ses fils, mais avec la clause la clause
de retrait en faveur de Mme Charlotte Marguerite de Bosset, épouse de Jean-Henri de Chaillet d'Arnex, fille du défunt,
droit que celle-ci fit valoir contre l'acquéreur en 1794.
La famille de Bosset qui avait continué dans l'intervalle à vivre à la Rochette que le nouveau propriétaire lui amodiait,
rentra ainsi en possession de son patrimoine.
C'est vers ce temps que cette demeure eut l'honneur de compter au nombre de ses habitants la comtesse Doenhoff, la célèbre favorite
du roi de Prusse, Frédéric-Guillaume II, alors en disgrâce et enceinte des oeuvres de son royal amant, qui vint s'y installer avec
sa dame de compagnie, Mlle L'Hardy, malgré les avertissements de Mme de Charrière.
La Rochette est une belle habitation; on y a son air et une superbe vue; mais avertissez cependant la comtesse, oui,
ne manquez de lk'avertir, pour qu'elle ne s'en prenne à vous en temps et lieu, que lorsque la neige et la glace de novembre, décembre
et janvier rendront les chemins difficiles, elle s'y trouvera bien éloignée de la sage-femme ou de l'accoucheur, du médecin,
de l'apothicaire; que d'aller et revenir seront des voyages pour ses domestiques, et que leur retour quand elle les enverra se fera impatiemment sentir.
Il semble toutefois que les renseignements donnés par la dame de Colombier n'aient pas eu les effets fâcheux qu'elle redoutait, puisque la comtesse
mit au monde le 4 janvier 1793, une fille: Julie Wilhelmine, comtesse de Brandebourg, qui épousa plus tard le duc Ferdinand d'Anhalt-Coethen.
En 1801, la Rochette était acquise par le général Charles-Daniel, comte de Meuron.
On connait la carrière brillante et mouvementée de cet officier qui, après avoir servi en France, leva un régiment à la solde de la
Compagnie des Indes hollandaises pour le compte de laquelle il guerroya au Cap, à Ceylan, puis aux Indes où il passa au service de l'Angleterre,
devint lieutenant-général, puis après avoir vendu à beaux deniers comptant son régiment au gouvernement anglais, vint passer
les dernières années de sa vie dans son pays natal.
A peine en possession de sa nouvelle demeure, le général y entrepris de vastes travaux de restauration, principalement de
nombreuses peintures murales qu'il faisait exécuter par des artistes italiens, de passage dans le pays.
Le Journal du conseiller François de Diesbach dont le musée publie en ce moment de nombreux extraits, renferme à ce
sujet des détails piquants dont il vaut la peine de transcrire ici quelques fragments.
Le mercredi 7 octobre 1801, après dîner, nous allâmes à la Rochette où le général a mis tout
sens dessus dessous et veut employer 3000 louis en réparations.
Celles-ci continuent les années suivantes.
Le 10 octobre 1804, après un somptueux dîner chez le général dans le beau salon du Faubourg, Diesbach quitte les convives avec M. Wyss
pour courir à la Rochette afin d'y voir les nouvelles peintures qu'un artiste de Bologne a faisoit.
C'étoient des traits de l'histoire suisse sur l'escalier et des paysages dans le vestibule qui peut servir de salle à manger.
Je vis aussi des vases de pierres peintes en différentes couleurs en arabesques...
Le 4 septembre 1805, je paris avec tout mon monde pour Neuchâtel.
M. de Rochefort vint nous rejoindre à l'auberge.
Nous montâmes à la Rochette avec le ministre de Meuron, le général nous mena dans l'appartement de Mme Duhamel, de Fontainebleau;
elle y était avec une autre françoise, grande marcheuse par les montagnes.
MM. Mellier et Freiquenet vinrent après dîner, de même que M. DuPasquier, ministre et M. Petitpierre.
Je fus enchanté de cette Rochette, surtout de la terasse et du pavillon qui est intérieurement peint en forme de tente.
Les italiens qui avoient peint la maison finissoient leur travail ce jour-là;
l'antichambre du premier est remarquable par ses peintures et par les glaces disposées de manière à représenter les objets
huit fois de chaque côté.
Un lustre de cristal d'Angleterre étoit à terre s'étant trouvé brisé en le déballant.
Nous descendîmes le grand escalier pour aller rejoindre le pavillon Bosset où la voiture nous attendoit.
Le général ne put pas nous acoompagner, mais il nous combla d'honnêtetés.
C'est en effet dans le pavillon du Faubourg, acheté à la famille de Bosset, que le général Meuron habitait pendant
l'exécution de ces importants travaux, et où il recevait tous les étrangers de marque de passage dans le pays.
Une fois les réparation achevées, le général vint s'établir à la Rochette, mais il ne devait pas jouir longtemps
de sa nouvelle habitation, car il mourait déjà en 1806.
Comme on le sait, le général Oudinot, qui occupait alors la Principauté, fit rendre à sa dépouille mortelle les
honneurs militaires, le jour de ses funérailles.
Après la mort du général, l'un de ses frères, Théodore de Meuron, devint propriétaire de la Rochette pendant
soixante-dix ans environ, après quoi elle passa par alliance à la famille DuPasquier à laquelle elle appartient encore aujourd'hui.
Au milieu du XVIIIème siècle, le domaine de la Rochette occupait tous les terrains limités au sud par le Faubourg de l'Hôpital et
à l'ouest par les propriétés Delor et Dupeyrou.
Il suivait à l'est le tracé du chemin de la Recorba - aujourd'hui ruelle Vaucher - jusqu'à la courbe qu'elle forme au-dessous de la
maison Coulon-Stürler, pour longer ensuite perpendiculairement divers jardins occupant l'emplacement actuel de la propriété de
Mme Jean de Pury et dont l'un appartenait à la famille Erhard-Borel.
Au sud-ouest et au nord, la propriété atteignait le quartier des Sablons et s'arrêtait à peu près à la hauteur de la gare.
Dès lors, la superficie de la Rochette a été notablement amoindrie.
En 1783, un lot de douze ouvriers de vignes, dans le quartier de l'Isérable, était vendu à Jean-Jacques-François Vaucher qui y
créa la propriété du Verger, morcelée dans le siècle suivant.
En 1832, une portion de vignes à la limite de la propriété Delor, le long du Faubourg, fut cédée à l'horticulteur Antoine Drogue.
L'ouverture de la nouvelle route du Val-de-Ruz en 1785, puis la construction de la gare et l'établissement des voies ferrées qui
entraînèrent diverses modifications et élargissements de la route de la gare ont diminué également dans une assez large mesure
l'étendue de la propriété du côté nord.
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